Pulvérisation localisée sur betterave: essai conjoint dans l’Eure

Depuis plusieurs années, la question de la réduction des produits phytosanitaires est au cœur des préoccupations agricoles, en particulier dans les zones sensibles comme les bassins d’alimentation de captage. Sur ce territoire, l’une des pistes techniques les plus prometteuses est la pulvérisation en bandes, en complément du binage. Une approche testée récemment sur le GAEC du Centre dans l’Eure en partenariat avec la Chambre d’Agriculture de Normandie , le Groupement de Développement Lyons Andelle Gisors, la Sucrerie Saint Louis Sucre d’Etrepagny  et l’ITB Normandie.

Une volonté ancrée de réduire l’usage de phytos 

À l’origine du projet : la volonté du GDA Lyons Andelle Gisors et de son conseiller Christophe Saingier, en lien avec le bassin d’alimentation de captage de BEZU-SAINT PAER   . Sur ce secteur, la pression pour réduire l’usage de phytos est réelle, et les solutions techniques deviennent urgentes. La pulvérisation localisée en bandes, couplée au binage, s’est imposée comme une voie à explorer. 

Une première tentative… peu concluante 

Un premier test avait été réalisé sur le département avec une rampe frontale et un système de pulvérisation localisée. Mais les conditions de sol – argileuses et caillouteuses par endroits – avaient compliqué le suivi de la rampe, peu stable, surtout lorsque la parcelle était peu nivelée. Résultat : des écarts importants avec la pulvérisation en plein, et une efficacité trop variable. L’expérience n’avait pas été concluante. 

Un nouvel élan avec le pulvérisateur Horsch Leeb LT 

L’arrivée d’un pulvérisateur Horsch Leeb LT, acheté par Hector et son voisin Rémi a changé la donne. Sur la rampe, la possibilité d’ajouter des buses spécifiques tous les 50 cm a ouvert la voie à un vrai test de pulvérisation localisée. Le contact a été pris via le concessionnaire Clouet, puis concrétisé par les conseils de Matthieu Noroy, responsable produits de la marque HORSCH. 

Une première expérimentation a été menée à blanc l’année dernière sur 3 hectares, suivie cette année d’un second essai sur betteraves sur 6 hectares, avec pour objectif une présentation lors de la plateforme d’essai de BACQUEVILLE en 2025. 

Des cultures adaptées à l’écartement de 50 cm 

L’exploitation d’Hector présente une caractéristique intéressante : les betteraves sont déjà semées à 50 cm, ce qui simplifie la mise en œuvre de la technique. L’idée est désormais d’élargir les essais à d’autres cultures comme le colza ou le maïs. « Mais pour cela, il faudrait investir dans une bineuse que nous n’avons pas pour le moment sur l’exploitation. » 

La chambre d’agriculture de l’Eure voit, quant à elle, des possibilités de tester la technique sur d’autres cultures semées à 50 cm sur le territoire. « Certains agriculteurs se lance dans le semis de maïs, colza, tournesol et  certains vont peut être essayer des féveroles a 50 cm »   

Une tentative a été réalisée sur colza avec du Colzamid  appliqué à l’aveugle avant semis, guidé par un système RTK. Mais des complications sont survenues en raison de l’utilisation de trois tracteurs différents : l’alignement des passages n’a pas été parfait. Résultat : une efficacité décevante.
Le résultat peut être apprécié à travers la photo d’illustration sur la localisation de la pulvérisation  avec et sans papier hydro sensible.

  • Les papiers hydro sensibles font 76 mm de long  X  26 mm  de large. 
  • Ces photos ont été faite en 2024 lors du premier essai : cette année-là, le tracteur qui pulvérisait n’était pas équipé de système GPS. La zone de pulvérisation est parfois décalée sur les papiers hydrosensibles. 
  • Conclusion: Une bonne localisation des produits peut être perçue comme contraignante, mais elle permet de garantir  l’efficacité de l’intervention en herbicides comme en insecticides et in fine le rendement final. 

Une chaîne technique à harmoniser 

Le frein principal aujourd’hui, c’est la coordination : semoir à 50 cm, pulvérisateur adapté, bineuse dans la cour, tracteur en roues étroites, GPS RTK bien calibré… et surtout une équipe prête à se lancer dans la démarche. C’est un vrai changement de méthode, mais pas nécessairement un surcoût. Dans ce cas précis, le matériel existant (tracteur RTK, pulvérisateur Horsch) a suffi pour démarrer (cf. prérequis détaillés dans notre précédent article "Pulvérisation en bandes : réduire l'IFT sans compromis sur l'efficacité")

La prise en main a été rapide, et la précision du guidage RTK permet au pulvérisateur de suivre parfaitement les lignes de semis. Le seul vrai frein technique reste le travail en dévers, qui peut décaler la pulvérisation. 

Jusqu’à 50 % d’économie sur les phytos pour certains passages 

Sur les 7 interventions réalisées cette année sur betterave : 

  • 1 herbicide anti-dicotylédones en plein (une forme d’assurance tous risque pour demarrer la technique) 

  • 2 en localisé, 

  • 1 anti-graminées en localisé, 

  • 3 insecticides en localisé. 

Résultat : des économies substantielles. La bande traitée en tout début de levée représente seulement 25 % de la surface, soit 50 % de produit économisé. À noter que la dernière buse est élargie lors des traitements insecticides pour assurer une couverture optimale. Pour les fongicides et le bore, Hector repasse en pulvérisation en plein une fois le rang bien couvert. 

« Nous avons constaté un petit écart avec la pulvérisation en plein. N’ayant pas de bineuse pour le moment sur l’exploitation, il restait quelques dycotes dans l’interrang. 1 passage supplémentaire de bineuse aurait été judicieux ou un réglage plus minutieux ». 

 

Tableau récapitulatif des coûts de pulvérisation ET des IFT des produits Phytos 

TRAITEMENT

EN PLEIN

IFT

LOCALISE EN BANDE

IFT

Traitement anti dicotylédones 1 


31.85/ha 

1.62 

31.85 €/ha  En plein en T1 

1.62  

Traitement anti dicotylédones 2 


44.45/ha 


0.93  

21.35 €/ha  

0.465  

Traitement anti dicotylédones 3 


63.7€/ha 


0.95  

31.5€/ha  

0.475  

Traitement anti graminées 


47.2€/ha 


0.65 

23.6€/ha  

0.325  

Traitement insecticide (3 passages) 


102.5€/ha 


3  

51.8€/ha  

1.5  

Total 

289.7€/ha 

7.15 

160.1 €/ha   

4.385 

 

*Pour les IFT, les adjuvants ne sont pas comptabilisés. Il faut compter IFT en plein +3.5 et en localisé +1.75. 

Des perspectives d’élargissement 

L’agriculteur prévoit de passer à 8 hectares l’an prochain. Sa ferme, d’environ 200 hectares, comprend 150 hectares de cultures (blé, orge, colza, betteraves, lin, maïs grain) et 50 hectares d’herbe. Les sols sont majoritairement limoneux et limoneux-argileux. 

Le colza semé à 12,5 cm reste difficile à biner, mais un passage en 50 cm reste envisageable. Le maïs, même en terres caillouteuses, pourrait être conduit en 75 cm avec binage. Les opportunités sont réelles. 

Conclusion : une technique d’avenir, à condition de structurer la démarche 

La pulvérisation localisée en bandes, en combinaison avec le binage, offre de réelles perspectives de réduction des phytos. Encore faut-il réussir à coordonner l’ensemble de la chaîne technique. C’est possible sans investir massivement, à condition d’avoir le bon matériel et un peu de rigueur dans l’organisation. 

Comme le souligne Christophe Saingier: « Plus il y aura de monde qui utilisera cette technique, mieux ce sera. » Des démarches collectives pourraient émerger, notamment autour du passage à un semis à 50 cm pour harmoniser les outils (pulvérisateurs, arracheuses, bineuses). Une dynamique prometteuse à suivre de près. 

JOKER : VOTRE PROCHAIN DECHAUMEUR?